Karin Elsen Je pense que ça m'a vraiment fait comprendre qu’il faut quand même changer quelque chose. Quand on voit que la situation n’est manifestement pas juste.
Edith Jacobs C'était une montagne de problèmes. Je me suis demandée pourquoi on n'apprenait pas d’abord le français. Pourquoi pas ?
Pia Oppel Au cours des dernières décennies, le système scolaire luxembourgeois a eu du mal à modifier son approche par rapport aux langues. Bien qu'il n’ait pas manqué de discussions et de tentatives. Cet épisode tente d’élucider pourquoi ces tentatives ont échoué.
Je m'appelle Pia Oppel, je suis journaliste pour radio 100,7. Dans ce podcast, je vous raconte l'histoire d'un mauvais élève: il s'agit de notre système scolaire, dans lequel beaucoup d'enfants échouent -- et ont déjà échoué autrefois.
Un petit rappel: Ce podcast en 6 épisodes a été publié en 2022 dans sa version originale en Luxembourgeois.
Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Épisode 2: Retour vers le futur
Le 11 décembre 1957, le bâtiment de la toute première Ecole Européenne a été inauguré au Limpertsberg. Une école pour les enfants des fonctionnaires qui travaillaient pour les premières institutions européennes créées après la guerre. La cérémonie s'est terminée par la représentation d'un opéra pour enfants.
L'idée était que les enfants des fonctionnaires peuvent suivre les cours dans leur langue maternelle. Au début, il y avait quatre sections linguistiques: le français, le néerlandais, l'italien et l'allemand.
Eduard Orth Denn wir wollen 'la richesse par la diversité', wie Paul-Henri Spaack es einmal ausgedrückt hat.
Pia Oppel Voici le ministre de la Culture de Rhénanie-Palatinat Eduard Orth.
Eduard Orth Aber über die 'diversité' wollen wir auch nicht die 'unité' vergessen.
Pia Oppel Il explique pourquoi tous les élèves de l’école Européenne apprennent au moins deux langues étrangères: afin de pouvoir fréquenter et comprendre les enfants des autres sections linguistiques.
Joseph Bech Altesses Royales, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes jeunes amis. J'ai l'honneur et le privilège de remettre à l'Ecole Européenne, au nom du Gouvernement luxembourgeois, cet édifice tout neuf.
Pia Oppel Le Premier ministre Joseph Bech s'est montré très fier. Avec son Ecole Européenne, le Luxembourg a pu se positionner comme un lieu attrayant pour les institutions européennes.
En fait, c’était de la diplomatie plutôt qu’une mesure de politique éducative. Le nouveau modèle scolaire, aussi exemplairement européen qu'il était, n'a pas été conçu comme un modèle pour le système scolaire luxembourgeois.
Mais après de longs détours, il s’est passé exactement ce qui n’était pas censé se passer.
Martine Hansen Ça veut dire qu’on doit copier. Alors que normalement, on n’est pas censé faire ça à l'école. Mais dans ce cas-ci, on doit copier. On doit s’inspirer des Ecoles Européennes, de leurs aspects positifs.
Pia Oppel Je vous présente Martine Hansen. En mars 2022, soit 65 ans après l'inauguration de la première Ecole Européenne, elle est encore députée du CSV. Et à la Chambre des députés elle plaide pour une réforme de l'école traditionnelle inspiré par le modèle du système scolaire européen.
Martine Hansen Les langues, c’est très souvent un moyen de faire le tri. C'est peut-être une expression un peu … dure. Mais c’est malheureusement le cas. Pour beaucoup d'élèves, les langues sont un obstacle à la construction de leur avenir.
Pia Oppel L’idée de copier les Ecoles Européennes a en fait déjà été exigée dans les années 1970. Pas à la Chambre des députés, mais par des enseignants et des parents engagés. Ces derniers se sont réunis en 1974 … dans l'ancien bâtiment de l'Ecole Européenne pour former une association.
Karin Elsen On a organisé une réunion avec les parents d’élèves. Il y avait principalement des parents italiens et portugais, mais aussi quelques parents espagnols.
Pia Oppel En 1974, Karin Elsen était dans la dernière année de sa formation en tant qu'enseignante d'école primaire. Elle fait partie des membres fondateurs de la nouvelle "Association de défense des intérêts des élèves étrangers".
Karin Elsen Là, on a essayé de leur parler dans leur langue maternelle et de leur montrer que leurs enfants avaient aussi des droits. Et que c’était aussi eux qui devaient revendiquer ces droits.
Pia Oppel L'engagement politique de Karin Elsen a été motivé par sa foi. Plus précisément, grâce à la messe pour les jeunes, qui a lieu les samedi soir en Ville.
Karin Elsen Cela s'appelait la paroisse de la jeunesse. Il y avait des jeunes de tous les quartiers qui ont aidé à moderniser les messes. Et c’est là que j’ai rencontré des enseignants et enseignantes. Et on a commencé à travailler aussi à d'autres niveaux. On s’est rendu compte que les étrangers n’avaient aucune chance ici, qu’ils ne trouvaient pas d’endroit pour vivre.
Les enseignants que j’ai recontré avaient déjà donné des cours depuis plusieurs années, et donc ils avaient remarqué que ces enfants avaient des problèmes. Et c’est comme ça que s’est développé Forum 80.000.
Pia Oppel Karin Elsen est aussi membre fondatrice de Forum 80.000. L'ASBL s'est fixé comme objectif de défendre les droits des quelque 80 000 étrangers dans le pays, et en particulier des travailleurs immigrés.
Karin Elsen On s’est divisés en plusieurs groupes thématiques. Et j'ai surtout été dans le groupe consacré à l’enseignement. Pour voir comment mieux intégrer les enfants étrangers dans les différents quartiers de la ville. Et comment les aider à mieux se débrouiller avec notre système scolaire.
Pia Oppel Dans les années 70, les inégalités du système scolaire deviennent un sujet d’actualité: une première étude scientifique de l'époque montre qu’au Luxembourg aussi, le milieu social joue un rôle important dans les performances scolaires. L'idée selon laquelle la réussite à l'école n’implique que l'intelligence et l’assiduité est donc fondamentalement remise en question.
Un autre défi s’y ajoute: au milieu des années 70, près d'un élève sur trois en école primaire n'a pas la nationalité luxembourgeoise. Et on constate que les enfants de travailleurs immigrés quittent souvent l'école sans diplôme.
Les activistes de Forum 80.000 sont donc à la recherche de solutions. Et l'Ecole Européenne apparait souvent dans les débats. C’est la preuve qu'il existe des solutions s’il y a la volonté de les mettre en œuvre.
Karin Elsen Pour les fonctionnaires européens, tout allait bien, nous n'avons pas manqué de moyens. Mais pour les travailleurs, c'est la même histoire depuis toujours. C’est des gens qui ne se défendent pas aussi durement et fortement.
Pia Oppel L'Ecole Européenne était un modèle pour les activistes du Forum 80.000. Ils ont exigé qu'il y ait une section francophone dans le système scolaire luxembourgeois.
Karine Elsen: Ech hu mäin ale Kuerf erëm fonnt ... also hei virdrun hunn ech nach Comité de défense des travailleurs immigrés. Dat ass och an deem Kontext entstanen. An dat do war da Forum 80.000
Pia Oppel Vous avez pris des notes formidables des réunions que vous aviez à l'époque. Et vous avez posé une question très simple à Monsieur Hostert, le fonctionnaire du ministère de l'Éducation: que compte faire l'État ? Et vous avez en fait obtenu une réponse plutôt évasive à ce moment-là. Que vous a répondu Monsieur Hostert?
Karin Elsen J'ai reçu la réponse suivante: pour pouvoir planifier quelque chose, nous devons d'abord savoir si les gens vont rester ici ou pas. Et c'est une question à laquelle il n'y a tout d’abord pas eu de réponse. Deuxièmement, cela ne résout pas le problème de l'école. Peu importe que les gens restent ici un an ou dix ans. Leurs enfants doivent recevoir une éducation décente, peu importe la durée de leur scolarité. Mais il n’y a eu aucune réponse à ce sujet.
Pia Oppel Vous avez aussi noté ce que cela a fait avec vous, cette conclusion au fond.
Karin Elsen Oui, j'avais l'impression que c'était une réponse évasive. On ne savait jamais vraiment si la volonté politique était de faire quelque chose pour ces enfants. Je me souviens de ce qu'on disait toujours: « Nous voulions des travailleurs, mais sont venus des êtres humains». Et, oui, je pense que cela m'a poussé à penser qu’il faut changer quelque chose, quand on voit que la situation n’est manifestement pas juste, il faut essayer de la changer. Et quand on est jeune, on a encore beaucoup d'élan, on n'a pas encore vécu tellement de déceptions [rires]. Après, avec l’âge on se calme un petit peu. Mais au début, on pense que si on travaille tous ensemble, ça va fonctionner.
Pia Oppel Au lieu d'attendre une réforme majeure du système scolaire, Karin Elsen a pris elle-même l'initiative de changer les choses en tant qu’enseignante. Elle n'était pas toute seule, je vais vous en parler dans un moment.
Karin Elsen Vous voyez, ici, c'était la cour de l'école. L'école se trouvait le long de la rue, comme ce bâtiment-ci. Et ici, c’était la cour avec une entrée. Malheureusement, des gens traînaient dans la cour en soirée … ce n’était pas bien pour nos enfants.
Pia Oppel En ’75, Karin Elsen a commencé à travailler à l'école du quartier de la Gare en. À l'angle de la rue de Strasbourg et de la rue du Commerce se trouvait alors un autre bâtiment scolaire. Mais la situation dans cette école était déjà similaire à celle d'aujourd'hui. Dans de nombreuses classes, il y avait peu d'enfants qui parlaient le luxembourgeois à la maison.
Karin Elsen L'idée est venue d'apprendre à lire et à écrire en français au lieu de l’apprendre en allemand. L'allemand était ajouté comme deuxième langue et, après la troisième année de la classe expérimentale, on intégrait une quatrième année normale.
Pia Oppel Ce que vous avez créé en fait, c'est une petite Ecole Européenne située dans la rue de Strasbourg, est-ce qu’on peut le dire comme ça?
Karin Elsen C'est une comparaison très large. C'était la version mini-mini-mini ... Il y avait une classe dans la rue de Strasbourg et une classe dans la rue de la Congrégation en Ville.
Pia Oppel La titulaire de cette classe était Edith Jacobs, une autre activiste de Forum 80.000. Aujourd’hui elle vit à Nancy. Quand je lui rends visite elle a 86 ans.
Mon collègue de rédaction Pierre Reyland m’a accompagné. Voici Pierre et moi qui essayons d’enregistrer le GPS avec notre micro au moment de traverser la frontière française. On n’a pas réussi.
Pia Oppel Da muss du et soen.
Pierre Reyland Border crossing
[sonnerie]
Pia Oppel Lo steet do 23.
Pierre Reyland Vläicht ass se nach net do. Mir sinn 20 Minutten ze fréi.
Pia Oppel Jo.
Pierre Reyland Do ass ee Café.
Pia Oppel Edith Jacobs n'était pas là. Une heure et un café plus tard, nous avons eu plus de chance.
Pia Oppel Moien!
Pierre Reyland Moien!
Edith Jacobs Moien. Oh Dir musst entschëllegen, dat sinn Alterserscheinungen.
Pia Oppel Edith Jacobs a manqué notre rendez-vous, car elle avait oublié de vérifier son agenda ce matin.
Pierre Reyland Ech sinn de Pierre. Pierre Reyland.
Edith Jacobs Je suis Soeur Edith, je n'ai jamais été “Joffer Jacobs”, j'ai toujours été Sœur Edith. Parce que je fais partie de la congrégation des Soeurs de la Doctrine chrétienne, qui a en fait été fondée pour se consacrer à l'enseignement il y a longtemps. Il y a quelques centaines d'années.
Pia Oppel Dans son salon, sous une grande croix accrochée au mur, Edith Jacobs nous raconte comment elle a fondé l'atelier Zeralda avec une autre sœur dans les années 70. C'était la première maison relais du Pfaffental où les enfants recevaient de l'aide pour leurs devoirs et où ils pouvaient emprunter des livres.
Edith Jacobs Et là, nous avons rencontré à travers les enfants, des familles qui étaient dans des situations très difficiles. Ceux qui ne savaient pas lire, ceux qui ne comprenaient pas et ceux qui ne pouvaient pas aider les enfants.
Pia Oppel En 1975, l'année où Karin Elsen a commencé à travailler dans le quartier de la Gare, Edith Jacobs avait reçu une classe avec juste des enfants portugais dans la rue de la Congrégation en Ville-Haute.
Edith Jacobs Je ne savais pas comment apprendre autrement l'allemand aux enfants portugais et essayer de les faire comprendre. Il y avait donc une montagne de problèmes. Alors je me suis dit, pourquoi ne pas commencer par enseigner le français, c'est plus proche de leur langue. Leurs parents doivent également parler français pour pouvoir travailler et vivre au Luxembourg. Pourquoi ne pas le faire comme ça?
J'ai donc fait une demande à la commission scolaire pour commencer en français en première année d’école primaire.
Pia Oppel Donc vous avez fait la demande ?
Edith Jacobs Oui. Oui. Et ils étaient d'accord. J'ai reçu le matériel, ce qui est rarement un problème au Luxembourg. Je pense qu’à la commune, ils ne se souciaient pas vraiment de ce qu’on faisait. L'essentiel était qu'il n'y ait pas de plainte et qu'on ne dise pas que les écoles luxembourgeoises ne valent rien, et ainsi de suite.
Pia Oppel Pour que les enfants puissent comprendre qu'un son en français peut s'écrire de plusieurs façons différentes, il y avait des comptines.
Edith Jacobs La souris a mis du riz dans le nid de ses petits … les enfants ont été ravis de l’apprendre, et en un quart d'heure, ils connaissaient ça par coeur. Une fois, il y a une petite qui est allée lire quelque chose. Et ensuite, elle a dit en zozotant: "Mais je sais lire, moi. Je l'entends encore. C'était vraiment magnifique.
Le seul inconvénient pour moi, c'est qu'ils n'ont pas appris le luxembourgeois. C'était le côté négatif. Mais c'était agréable de donner cours ainsi. Alors qu’en allemand, c'était une corvée.
Pia Oppel Edith Jacobs et Karin Elsen ont vécu la même expérience. L'alphabétisation en français était relativement facile pour les enfants. Mais en quatrième année, les enfants ne sont pas prêts à réintégrer le système normal comme prévu.
Karin Elsen est arrivée à la conclusion qu'il n’est pas important par quelle langue on commence. Pour tous les enfants, quelle que soit la langue qu'ils parlent à la maison, elle est d’avis qu’il serait préférable de commencer plus tard avec la deuxième langue.
Karin Elsen Il faut savoir fixer une langue, surtout si ce n'est pas sa langue maternelle. D'autres enfants apprennent à lire et à écrire dans leur langue maternelle, nous non.
Pia Oppel Après leurs expériences avec l'alphabétisation française, les deux enseignantes choisissent d’autres voies. Edith Jacobs a déménagé à Nancy. Karin Elsen est de retour dans une classe normale à Hollerich. Leurs initiatives personnelles laissent peu de traces. La Ville de Luxembourg ne poursuit pas le projet. Dans les années 80, l’école du Brill à Esch lance une expérience similaire, qui elle aussi, est abandonnée quelques années plus tard.
Edith Jacobs L’école luxembourgeoise n’a pas éprouvé un besoin de renouvellement, je pense. On aurait dû être à plusieurs, pour réussir à changer quelque chose, pas juste un petit groupe.
Pia Oppel Vous avez été des combattantes solitaires ?
Edith Jacobs Oui. Oui.
Pia Oppel La seule tentative de tirer un bilan à propos de l'initiative des deux enseignantes a été faite, à ma connaissance, par un fonctionnaire du ministère de l'Éducation. J'ai découvert ce rapport par hasard dans les archives de la Chambre des députés. Et puis j’ai retrouvé son auteur.
Othon Neuens Jo, Oth Neuens.
Pia Oppe lJo Moien, hei ass d'Pia Oppel.
Othon Neuens Aaahh. Bonjour, Bonjour ...
Pia Oppel Je ne sais pas si vous avez le document devant vous?
Othon Neuens Je l'ai devant moi, oui.
Pia Oppel Le point sept, si vous voulez, pouvez-vous le relire? Quel était votre constat à l'époque ?
Othon NeuensEng Sekonn, eng Sekonn. Conclusion. Constatation. Majo …
Othon Neuens La progression dans l'apprentissage de la langue française est très rapide en première année d'études. Cela s'explique probablement par le fait que le français et les langues portugaise et italienne sont des langues apparentées et que la motivation des enfants pour l'apprentissage du français est plus grande que pour l'allemand. Les enfants peuvent donc communiquer rapidement en langue française.
Pia Oppel Quand on entend ça, on peut penser que le projet a été un succès.
Othon Neuens Oui, pour le français, c'était bien. Mais pour une intégration ultérieure dans une classe normale, là, leur niveau d’allemand n'était pas suffisant.
Pia Oppel On peut se poser la question si ce n'était pas ça, le problème principal du projet. L’idée selon laquelle les enfants retourneraient en quatrième année dans un système où ils devraient en fait avoir un niveau de langue maternelle en allemand ?
Othon Neuens Oui. Mais c'était à cause du système qui existait à l'époque où, même après l’école primaire, il n'y avait presque plus de filières francophones …
Je suis arrivé au ministère en 1976 … avant, j'étais titulaire d'une classe d'accueil pour les enfants de 12 à 15 ans qui étaient venus à cet âge au Luxembourg et qui apprenaient en premier le français. Je me souviens encore, j'avais un enfant turc dans cette classe, un enfant très intelligent. Et j'ai recommandé au garçon d'aller dans un lycée en Belgique. Ensuite, il est allé en Belgique et il est devenu médecin. On voit là qu'une filière francophone peut aussi mener à quelque chose.
Pia Oppel Dans les années 80, après que vous ayez fait ce rapport, ce n’était plus le socialiste Robert Krieps qui était ministre de l’éducation, mais Fernand Boden du parti chrétien-social CSV. Est-ce qu’alors il y a eu des discussions pour intégrer la langue française différemment dans le système scolaire?
Othon Neuens Il n'y avait guère de volonté, disons ça comme ça.
Pia Oppel Mais pourquoi pas ? Au Lycée Classique, le français était pourtant une langue très bien considérée.
Othon Neuens Je ne comprends pas non plus. C'était simplement une tradition au Luxembourg.
Pia Oppel L'alphabétisation en français avait donc à nouveau été abandonnée. À la place, Othon Neuens a recommandé d’enseigner l'allemand différemment. C'est précisément ce consensus qui a été atteint en 1983 lors du premier grand débat organisé par la Chambre à ce sujet.
C'était un moment étrange. Parce qu'il y avait un large consensus sur le fait qu’une réforme était nécessaire. Trop d'enfants quittaient le système scolaire sans diplôme.
Mais … rien n’a été fait.
Erna Hennicot Il faut que les deux langues, le français et l'allemand, soient enseignées en tant que langues étrangères.
Pia Oppel Voici l'ancienne députée du CSV Erna Hennicot, qui lit un extrait de son discours à la Chambre de février 1983. L'allemand devrait être enseigné comme langue étrangère selon elle. Il ne faudrait donc plus s'attendre à ce que les enfants comprennent et utilisent déjà l’allemand au quotidien. De nouveaux manuels et d'autres méthodes d'enseignement auraient été nécessaires.
Mais juste avant que le Parlement ne procède au vote sur la résolution, le ministre de l'Éducation Fernand Boden propose de remplacer cette proposition par une formulation très vague.
Selon le ministre, l'allemand devait être enseigné de manière à tenir compte des connaissances préalables de tous les enfants. La manière exacte de mettre cela en œuvre n'a pas été précisée par Fernand Boden. Pour les enfants luxembourgeois, l'apprentissage de l'allemand en tant que langue étrangère aurait été trop lent, selon lui. Une affirmation que personne n'a remise en question. Sans aucune protestation, la Chambre a supprimé de sa résolution la seule phrase qui aurait pu apporter un changement concret.
Pia Oppel Et voilà que votre ministre vous a pris à revers à la dernière seconde.
Erna Hennicot Et oui (rires).
Pia Oppel Comment avez-vous réagi ?
Erna Hennicot Et bien, il fallait vivre avec.
Pia Oppel Oui ?
Erna Hennicot Ben oui. Le rapport a été adopté à l'unanimité. Personne d'autre ne s'est plaint de ce passage.
Pia Oppel Saviez-vous que ce changement allait arriver ?
Erna Hennicot On nous a très probablement averti, car sinon, il n’aurait pas été adopté comme ça. Il est facile d’argumenter à propos de ce qui aurait pu être fait.
Pia Oppel Vous trouvez que je juge trop rapidement?
Erna Hennicot Oui.
Pia Oppel Peut-être qu’Erna Hennicot n'a pas tout à fait tort. Il est facile de poser des questions critiques 40 ans après un débat à la Chambre. Trancher au niveau politique est certainement plus difficile.
Pour le contexte de l'époque. Les syndicats d'enseignants s'opposent fermement à l'alphabétisation française. Mais il n’y a pas de consensus au sujet du statut de l’allemand comme langue étrangère. De son côté, l'inspecteur général pour les écoles primaires a plaidé pour une branche française à l’école primaire. Et le consensus à la Chambre est que les sections de langues comme dans l'Ecole Européenne, mèneraient à des ghettos.
Simple ou pas, le choix politique de 1983 était de laisser les choses comme elles étaient.
En 1995, Erna Hennicot est elle-même devenue ministre de l'Éducation. Elle a notamment introduit le précoce, c'est-à-dire l'année scolaire avant l'école maternelle. Et elle a aussi supprimé les examens d'entrée au lycée malgré beaucoup de résistance. Deux mesures importantes pour lutter contre les inégalités du système scolaire. Une réforme de l'enseignement des langues n'a pourtant pas été envisagée.
Pia Oppel Il n’y a plus eu de discussion à ce sujet?
Erna Hennicot Non.
Pia Oppel Pourquoi pas?
Erna Hennicot Parce qu'elle est compliquée, et les gens ont peur de la complexité du problème.
[Brouhaha vun der Enseignantsmanifestatioun]
Daniel Reding A wann et net anescht geet. Da gëtt et nach just ee Wee, de Generalstreik am Enseignement.
Pia Oppel En mars 2012, une grande manifestation du personnel enseignant a eu lieu. Plus de 5 000 personnes ont manifesté dans la rue Notre-Dame devant le ministère de l'Éducation pour protester contre la réforme du lycée et contre la réforme de l'enseignement primaire, déjà en vigueur depuis un certain temps. La ministre de l'Éducation du LSAP, Mady Delvaux, ne parvient pas à résoudre le conflit avant les élections anticipées en 2013 à cause de l'affaire des services secrets.
L’opposition aux projets de réformes atteint son apogée avec les manifestations de mars 2012. Mais les critiques émergent déjà avant … quand la ministre propose de réformer l'enseignement des langues.
Pour résumer brièvement, Mady Delvaux a proposé que les élèves n'aient pas besoin d'atteindre le même niveau dans toutes les langues pour obtenir un diplôme. Le ton du débat est devenu assez rude.
"La mort de l'allemand" est le titre d'une lettre ouverte adressée à la ministre de l'Éducation. L'auteur de la lettre, un professeur d'allemand dans un lycée classique, n’a pas voulu m'accorder d’interview. J'ai donc juste pu en parler à la destinataire, Mady Delvaux.
Pia Oppel Et bien, voici la dernière partie de cette lettre: Si un jour la barrière des trois langues, qui existe encore, tombe, les étrangers se débrouilleront beaucoup mieux. A qui sera présenté la quittance dans ce cas ?
Mady Delvaux Oui, je pense que c'est une déclaration claire que nous devons maintenir ce système afin que les Luxembourgeois puissent conserver leurs emplois. Cela peut être qualifié de racisme, de discrimination. Mais j'ai toujours pensé que les Luxembourgeois recevaient ces emplois parce qu'ils étaient si doués. C'est l'argument des professeurs pour défendre leur manière d'être, leur manière d'enseigner. Il y a toutes sortes d'arguments que l’on pourrait trouver. Je ne trouve pas que ce soit le meilleur.
Pia Oppel Peu de choses ont changé au cœur du problème des inégalités du système scolaire sous Mady Delvaux. C'est sa propre conclusion.
Mady Delvaux C'est le plus grand regret de ma carrière politique. Que je n’aie pas réussi à rendre notre système scolaire plus égalitaire.
Pia Oppel Si la réforme du système scolaire traditionel est si difficile, un moyen politique plus simple est de créer un système parallèle.
L'idée de créer une Ecole Européenne publique, dite agréée, au Luxembourg est née par hasard. Lorsque Mady Delvaux a rencontré la directrice de l'École Européenne à l'époque, Toula Vassilacou.
Mady Delvaux Une amitié a fleuri qui existe encore. Et puis il y avait Renée Christman, qui était la secrétaire générale des Ecoles Européennes. Et on s’est rencontrées et on a parlé entre autre de l'école. Et puis elles ont dit: "Mais pourquoi tu n’essayerais pas les écoles agréées?" Et c'est ainsi que l'idée est née de créer une école de ce genre.
[Brouaha Porte Ouverte EIDE]
Gérard Zens Je vous souhaite la bienvenue aux portes ouvertes de l'École internationale de Differdange. Pouvons-nous tester qui comprend le luxembourgeois ici?
Pia Oppel Le successeur de Mady Delvaux met l'idée en œuvre. La première Ecole Européenne agréée a ouvert ses portes en 2016. Trois ans après que Claude Meisch du DP est nommé ministre de l'Éducation.
L'Ecole internationale de Differdange n’est pas d'une école privée etcoûteuse. Mais c’est une école publique et gratuite qui est en principe accessible à tous les enfants.
Actuellement, il y a six écoles de ce type dans le pays. Et l’intérêt est grand. Egalement lors de la Porte ouverte de l'EIDE à Differdange en mars 2022.
Mon collègue Pierre Reyland, qui travaille avec moi sur ce podcast, a parlé à beaucoup de parents différents.
Mamm Mir si frankophone doheem.
Mamm Nous sommes Portugais, on parle Portugais à la maison, tout le temps.
Papp Je suis Capverdien.
Papp I'm working with ArcelorMittal.
Mamm On est Belge.
Pierre Reyland Pourquoi cette offre vous intéresse-t-elle ?
Sandro Parente Tout d’abord, la langue paternelle de mon enfant est le français. Je lui ai parlé en français dès sa naissance, même en famille. Sa langue maternelle est le luxembourgeois. Voilà, donc je vois une meilleure alternative pour lui ici.
Pia Oppel Sandro Parente travaille depuis 18 ans à Differdange en tant qu’enseignant. Il a inscrit son fils dans une section française, avec l'anglais comme seconde langue.
Sandro Parente Je pense que l’enseignement de l'anglais commence trop tard au niveau professionnel. Aujourd'hui, on devrait commencer plus tôt avec l'anglais. Et cela signifie aussi une remise en question de l'importance des langues. Je suis en faveur du multilinguisme, c'est clair. Mais je pense que c'est une division problématique. À un moment donné, il faudra peut-être rééquilibrer les langues.
Pierre Reyland Rééquilibrer les trois langues, l'allemand, le français et le luxembourgeois ? Il faudrait changer ce système ?
Sandro Parente Oui. C'est comme ça que je vois les choses maintenant. J’ai travaillé dans ce domaine et je m’y suis un peu intéressé. L'alphabétisation en allemand dans notre cas, avec plus de 50% d'étrangers, c'est un peu comme si on enseignait le latin. Vous pouvez entrer dans un magasin, mais vous n'entendrez jamais: Guten Tag, guten Morgen, auf Wiedersehen. En tant qu'enseignant, c'est un peu frustrant à voir. En quoi est-ce pertinent?
Pia Oppel Une autre approche des langues scolaires est donc débattue depuis longtemps. Sans que rien de substantiel n'ait changé au cours des 50 dernières années.
Mais maintenant, tout à coup, quelque chose a changé. Mais ces nouvelles écoles publiques internationales résoudront-elles le problème des inégalités de notre système scolaire ?
Voilà le sujet du prochain épisode.
Sarah Barlow Sara are you ready for the next bit?
Sara Yep! Leave him alone, ginger.
Sarah Barlow Là il y avait une petite que je savais allait venir dans ma classe. Donc, son cursus je pense était difficile, elle ne s'est pas sentie à l'aise, elle n'avait pas fait beaucoup de progrès, mais ici elle est chez elle.
Claire Albrecht Et ass e bëssen ze haart.
Claire Albrecht Je ne pense pas que ce soit vraiment la solution. Nous sommes internationales. Mais il ne faut pas oublier le national dans tout cela.
Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Recherche et rédaction: Pia Oppel et Pierre Reyland. Avec la participation de Tessy Troes, Jean-Claude Franck, Rick Mertens, Chris Zeien, Semir Demic et Marie Trussart. Son et arrangements musicaux: Chris Simon. Coordination: Yves Stephany. Traduction: Philip von Leipzig.
Notre musique de titre, le "Gassenhauer" du Orff-Schulwerk, a été enregistrée sous la direction de Laurent Warnier par des élèves du Conservatoire de la Ville de Luxembourg. Merci à Joé Alff, Constantin Barbu Ravoux, Michael Calnan, Felix Dunkel, Laurie Krier, Ina Molakava, Lola Schleicher, Julian Seredynski, Youqian Lulu Pang, Louis Thill et Eloïse Twimumu.