Radioen

On air

Simon Says  |  Flavonoids - Escape Feat. Righteous, Krs One & Dj Mercilless

play_arrow Live
arrow_back_ios

100komma7.lu

100komma7.lu

/ Mauvais Élève: Episode 1 - C’est le début qui compte

Podcast

Mauvais Élève: Episode 1 - C’est le début qui compte

Estrela, huit ans, a des difficultés à l'école. Sa conclusion: “Je ne suis pas intelligente.”

auto_stories

24 min

Estrela Je suis pas intelligente.

Pia Oppel Huh.

Estrela C'est vrai.

Pia Oppel La voix que vous venez d’entendre est celle d’Estrela. Quand je la rencontre, elle a huit ans et elle est en deuxième année d’école fondamentale.

Je m’appelle Pia Oppel. Je suis journaliste à la radio 100,7. Et dans ce podcast, je vais vous raconter l’histoire d’un mauvais élève.

Quand je dis “mauvais élève”, je ne parle pas d’Estrela, mais de notre système scolaire, qui s’en tire mal en comparaison internationale.

C’est un système scolaire dans lequel de nombreux élèves échouent très tôt, et qui, comme Estrela, ne croient plus vraiment en eux-mêmes. Pourquoi n’arrivons-nous pas à y changer quelque chose? Voilà ce que je veux découvrir dans ce podcast.

Cette série en 6 épisodes est sortie en luxembourgeois en 2022, et je me réjouis de pouvoir vous la présenter maintenant sous cette version. Même si, comme vous le remarquez peut-être, le français n’est pas ma langue maternelle ...

Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Episode 1 – C’est le début qui compte.

Estrela a du mal à comprendre ses devoirs en mathémathiques parce qu’ils sont en allemand. Elle se fait aider par sa maman Isabelle, sa grand-mère Teresa et Google Translate.

Estrela Wie lange dauert es?

Isabelle Ça veut dire quoi?

Estrela Euuuhhh.

Teresa A que horas?

Estrela A que horas? Não sei.

Isabelle Je vais chercher mon téléphone.

Estrela Aaah, téléphone, téléphone.

Pia Oppel La mère d’Estrela travaille comme aide-soignante dans un hôpital. Avec ses deux filles elle vit dans le quartier de la Gare en Ville. Isabelle est née au Luxembourg, mais a grandi au Portugal. Elle y a appris l’anglais et un peu de français à l’école. Et elle est revenue au Luxembourg il y a cinq ans.

Isabelle J'espérais qu’Estrella arrivait à apprendre bien à l'école et pas tout garder pour faire à la maison, surtout si c'est pas notre langue et on n'arrive pas à bien expliquer et la aider. C'est ça, je sais pas comment ils ont organisé le système.

Pia Oppel Vous vous sentez comment?

Isabelle Je me sens des fois un peu frustrée, parce que je veux qu'elle apprend bien. Et on travaille bien et après avec les commentaires je pense que à l'école ils pensent qu'on ne travaille pas. Et on travaille. Je me sens triste parce que j'aimerais bien de pouvoir la aider des fois un peu plus

Estrela Eu vou ficor no deus.

Isabelle Vas ficar no deus? Elle dit, 'je vais rester en deuxième'. Não, porque?

Estrela Je suis pas intelligente.

Pia Oppel Huh.

Estrela C'est vrai.

Isabelle Não, està bom.

Teresa Elle déprime vraiment. Quand elle sait qu'elle a un test, deux jours avant elle a déjà mal au ventre. Elle a peur de ne pas réussir. Et elle dit: pourvu que j'ai une meilleure note que la dernière. Vraiment ça lui travaille. Elle veut bien, mais bon.

[100,7-Noriichten-Jingle]

Simon Laroche De Moiespanorama elo mam Pierre Reyland

Pierre Reyland D’Ongläicheeten am Lëtzebuerger Schoulsystem gi weider an d’Luucht. Dat hunn d’Fuerscher vun der Uni Lëtzebuerg an hirem neiste Bildungsrapport festgestallt ...

Pia Oppel Voici Pierre Reyland. Le 13 décembre 2021, sur radio 100,7, il informait sur les inégalités dans notre système scolaire. Vous retrouverez Pierre à d'autres moments dans ce podcast, étant donné qu’il a participé à ce projet.

Revenons au rapport à propos des inégalités dans le système scolaire. Il est passé complètement sous silence à l'époque. La violence et l'utilisation du lanceur d’eau lors des manifestations contre les mesures Covid ont suscité plus d’intérêt. En plus, les conclusions du rapport sur l'éducation n'étaient pas vraiment nouvelles. "Les inégalités dans le système scolaire sont en train de diminuer". En voilà une bonne nouvelle ! Et qui serait plus en accord avec ce que l'on dit souvent à propos de l'école.

Xavier Bettel La politique éducative a pour mission de permettre à chaque enfant de tirer le meilleur de lui-même.

Pia Oppel Voilà les paroles du premier ministre Xavier Bettel en 2021 dans son discours à propos de l’état de la nation. Et voici ce qu’il a dit en 2018.

Xavier Bettel L'école n'est pas le lieu de l'idéologie, mais de la liberté, de l'indépendance et de la justice.

Pia Oppel Et en 2014.

Xavier Bettel Une bonne politique éducative est une politique anti-chômage et surtout une politique anti-chômage des jeunes.

Pia Oppel Quelque chose va donc de travers, puisqu’on peut souvent déjà déterminer le succès ou l'échec scolaire d'un enfant dès la 2 e année d’école fondamentale. "Les parcours scolaires au Luxembourg sont déterminés très tôt", indique le dernier rapport sur l'éducation. C'est cette phrase qui nous a poussés, Pierre et moi, à faire cette enquête.

Une enquête qui nous a pris du temps: Pour pouvoir enregistrer une seule voix d'enfant dans une classe, il faut l'autorisation du ministère, de la commune, de l'école, de l’enseignant et des parents. Même avec beaucoup de bonne volonté de la part de tous les acteurs, il a fallu plusieurs mois avant que Pierre et moi nous retrouvions avec nos microphones dans une classe.

Lors de nos visites dans les écoles nous avons pu faire des constats variés : des fois la situation était très difficile, des fois les choses étaient en train de changer, et des fois , au contraire, on tenait à ce que rien ne change.

Et partout nous nous sommes posé la même question : est-ce que l’école luxembourgeoise donne vraiment les mêmes chances à tous les enfants?

Pour la plupart des enfants au Luxembourg, la vie scolaire commence à l'âge de trois ans dans ce qu’on nomme le “Précoce”. Donc, un an avant le début de la scolarité obligatoire à la « Spillschoul », l’école maternelle. Dans le précoce, on joue, on peint et on chante beaucoup.

 

Martine Gloden Sou, eent, zwee..

Martine a Kanner [sangen] "Hei kënnt ee klengen Zuch gefuer. Bimmlibimmlibimm ..."

 

Martine Gloden Je m'appelle Martine Gloden. J'ai 49 ans et je travaille dans l'enseignement depuis 24 ans. Surtout en 1 er cycle, à la « Spillschoul » et au précoce.

Pia Oppel Dans la classe de Martine Gloden, il y a 14 enfants qui parlent huit langues différentes à la maison. Le français, le capverdien, l'arabe, le lituanien, le russe, l'ukrainien, l'italien et le luxembourgeois.

Martine Gloden Ici, dans le quartier de la gare, nous avons au maximum un ou deux enfants dans la classe qui parlent le luxembourgeois à la maison. Parfois, il n’y en a aucun. Cela prend un peu plus de temps dans ce cas, parce que les enfants apprennent aussi beaucoup des autres enfants.

Pia Oppel Il y a 19 ans, Martine Gloden est passée d'une école de village à la rue du Commerce, à la Gare en Ville. Elle a d'abord dû s’adapter au fait qu'il était désormais de sa responsabilité d’enseigner d’abord aux enfants la langue principale du système scolaire luxembourgeois.

Martine Gloden Les premières années, c’était bizarre … mais ensuite, c'est devenu naturel. Ce qui est vraiment très important, c'est que l'on travaille beaucoup avec des gestes. On utilise aussi beaucoup d’images, des photos et des pictogrammes. Par exemple, pour le déroulement de la journée: on a accroché des photos pour pouvoir expliquer et leur apprendre ces mots.

Odile Spillen

Martine Gloden Mir spillen. An dann?

Odile Raumen

Martine Gloden Mir raumen

Odile Krees

Martine Gloden Mir maachen e Krees a mir kucken de Kalenner, jo.

 

Pia Oppel Les enfants peuvent choisir un nouveau livre à emporter à la maison chaque semaine. Martine Gloden a adapté sa petite bibliothèque de classe aux compétences linguistiques des parents, afin qu'ils puissent lire les livres à leurs enfants.

Martine Gloden Qu'est-ce que j'ai comme bazar, là ? A vrai dire, ces dernières années, j'ai surtout acheté en anglais. Tu préfères celui-là ? Tchoupi. Tchoupi va à la plage. Je n'achète plus du tout en allemand, je l'ai fait au début, quand je travaillais au village [rires].

En tout cas ... peu importe la langue que les enfants parlent à la maison ... ce qui est vraiment important, c'est qu'ils maîtrisent bien leur langue maternelle. Parce que c'est une bonne base pour apprendre une nouvelle langue.

Pia Oppel Martine Gloden dit qu’elle remarque assez vite, quand la langue maternelle n'est pas maîtrisée. La manière dont les enfants parlent à leurs parents, quand ils sont amenés à l’école le matin, est souvent une bonne indication. Et là, elle essaie alors de parler aux parents. Un problème c’est peut être que les parents ne parlent pas assez à leurs enfants. Ou les parents veulent bien faire en parlant à leurs enfants dans l'une des langues de l'école, même si ce n'est pas leur langue maternelle.

Martine Gloden Alors on leur a dit: "Non, non, non, parlez votre langue, ne leur parlez pas en français. Vous devez parler votre langue à votre enfant. C'est votre langue maternelle, et c’est important. Vous la parlez parfaitement, donc l'enfant l’apprend aussi correctement."

 

Lamar Méinden, Donneschden, Freiden

Martine Gloden Neen, komm mir sangen nach eng Kéier. Méinden ...

Lamar Dënschden, Mëttwoch, Donneschden, Freiden, Samschden, Sonnden-

Martine Gloden Ganz gutt.

Martine Gloden Beaucoup de parents - qui ne parlent pas le luxembourgeois à la maison - nous ont dit qu’ils voulaient envoyer leurs enfants dans une crèche luxembourgeoise, mais qu’ils n’ont rien trouvé. La plupart des crèches dans le quartier de la Gare sont francophones. Pour les enfants qui sont doués pour les langues, ce n'est pas un problème. On a une enfant comme ça. Elle parle arabe à la maison. Elle a bien appris le français à la crèche. Et maintenant, elle a aussi bien appris le luxembourgeois. Ça veut dire qu'elle parle bien sa langue maternelle, une deuxième langue et même une troisième.

 

Pia Oppel Wëlls du och ee Lidd sangen?

Aboubakry Gudde Kleesschen, budde Kleesschen ...

Martine Gloden On voit aussi d'autres enfants, qui n'avaient pas un bon niveau dans leur langue maternelle et qui ont plus ou moins appris le français à la crèche. Ils mélangent les deux langues. Et puis à l'école, ils doivent encore apprendre le luxembourgeois … c'est vraiment très difficile au début.

 

Martine Gloden Weess de wéi dat do heescht? Raup.

Omar Raup.

Martine Gloden Déi ganz vill ësst an da gëtt se ëmmer méi déck.

Pia Oppel L’échange avec les parents est extrêmement important pour Martine Gloden, mais pas seulement pour que les enfants apprennent à bien parler.

Martine Gloden Il est très difficile de voir une évolution positive sans la contribution des parents. Parfois, c’est vraiment compliqué … On essaie de les aider … mais les parents ont tellement de choses à faire, tellement de problèmes … Et ils n’arrivent donc pas à mettre en action les choses que nous leur proposons. Dans certains cas, les parents ont fait de mauvaises expériences à l’école, ils ont peur de l’école ou se sentent mal à l’aise pour une raison ou une autre, ce que les enfants ressentent aussi.

Martine Gloden An dann ass et de Cocon. An da gëtt et herno?

Omar Päiperlek

Martine Gloden De Päiperlek. Gutt. Dee kenns de. An de Päiperlek ka fléien.

 

Pia Oppel Au “Précoce » et ensuite à la « Spillschoul », les enfants sont censés non seulement se familiariser avec le luxembourgeois, mais aussi avec le français. Mais pas avec l’allemand. Ce qui est étonnant, parce qu’après, les enfants sont alphabétisés en allemand en première année de l’école fondamentale. Le luxembourgeois est censé servir de pont vers l’allemand. Mais selon le rapport national sur l’éducation, cela échoue souvent, ce qui crée de la frustration pour beaucoup d’enfants et d’enseignants au quotidien.

 

Isabelle van der Zande Alors, aujourd’hui on a cours d’allemand. Donc, il faut qu’on parle allemand. Je vous ai apporté une belle image. Où sommes-nous ici ?

Lauren Im Zoo

Isabelle Van der Zande Im Zoo. Woran erkennt man das?

Isabelle van der Zande Je suis Isabelle Van der Zande. Pour le Moment, je suis enseignante en cours d’appui à l’école Michel Welter dans le quartier de la Gare.

Isabelle Van der Zande Oui, il y a beaucoup d’animaux au zoo. Quels animaux est-ce que vous reconnaissez ?? Roniya ?

Roniya Euhm. Shard

Isabelle Van der Zande Auf Luxemburgisch vielleicht?

Roniya Hm, weess ech net.

Isabelle Van der Zande Kommst du zeigen? Hier? Meinst Du das Aquarium? Ja, wer schwimmt denn im Aquarium?

Roniya Euhm. Ein Shard

Isabelle Van der Zande Aaaahhhh, un requin. Tu voulais dire ‘shark’ ? Oui ? C’est un requin. Ton mot ‘shark’, c’est de l’anglais. Oui, il y a un requin.

Pia Oppel Roniya est en deuxième année de fondamentale et la lecture est particulièrement difficile pour elle. Elle fréquente le cours d’appui d’Isabelle Van der Zande avec quatre autres élèves, pendant que leurs camarades de classe suivent les cours réguliers.

Isabelle Van der Zande OK, gesäis Du gutt? Dann hal deen u wann ech gelifft. An da lies Du et eng Kéier, Roniya, an Du och. OK, da fänkt un.

Roniya Raus, Laus.

Roniya Mat meng all Famill schwätzen ech Persesch.

Pia Oppel Roniya a huit ans et elle est née au Luxembourg. Sa mère vient d’Iran et son père d’Israël. A la maison, ils parlent persan. Elle regarde la télé et YouTube en anglais.

Roniya Ech kucken English an jo ... English

Roniya Faust, lau, mau

Isabelle Van der Zande Moi, je me concentre beaucoup sur le rythme de la langue. Ce n'est pas seulement une question de vocabulaire. Le vocabulaire, il se développe beaucoup pendant le 2 e cycle. Mais ils le maîtrisent assez rapidement grâce au luxembourgeois. Mais, quand il ne s’agit pas de mots utilisés au quotidien, c'est déjà plus compliqué pour eux. Ça veut dire qu’on doit rester au niveau des phrases de base très longtemps. C’'est pas seulement difficile pour les enfants, mais c'est aussi difficile pour nous les enseignants.

Isabelle Van der Zande Bien, nous avons appris de nouveaux verbes. Nous avons notre liste de la semaine. Et voici les verbes avec "au". Est-ce que vous vous rappelez quels sont ces verbes ? Albin, quels sont ces verbes ?

Albin Au, wie Auto ...

Isabelle Van der Zande Oui, les verbes. Pas les noms. Regarde, ici : ça, c’est les noms En bleu. Mais là, moi je parle des mots en rouge.

Isabelle Van der Zande C’était la même chose pour nous en français au début. On apprenait les règles en classe, mais aussi l'orthographe et la grammaire. Mais pour le reste, on pratiquait pas vraiment la langue. L’enseignant parlait peut-être en français et puis après seuls les enfants qui se sentaient à l'aise dans cette Langue la parlaient. Et moi je n’osais jamais répondre, parce que je ne me sentais pas à l'aise. Et c'est exactement la même chose avec beaucoup d'enfants en allemand aujourd'hui.

Pia Oppel Le problème, c'est que ceux qui ne comprennent pas bien l'allemand ont aussi des difficultés en maths et dans les autres matières, car elles sont aussi enseignées dans cette langue. Les élèves d’Isabelle Van der Zande n'ont pas beaucoup d'occasions de pratiquer cette langue en dehors de l'école. Pendant les cours aussi, le luxembourgeois se mêle souvent à l’allemand.

Isabelle Van der Zande Sou Kanner, hutt Dir nach klauen fäerdeg geschriwwen?

William* Jo ... ich kaufe eine Melone.

Lauren Nein, ein Banane

Isabelle Van der Zande Eine Banane. Passt op op Är Endungen. Wéi seet een? Cathy kauft ...

 

Isabelle Van der Zande La plupart du temps, quand les élèves ont des problèmes à l'école ... ils ne travaillent pas non plus à la maison. Et les enfants qui sont vraiment forts ... eux, ils font tous les devoirs. Mais nous, on est pas les parents, c’est leurs enfants. S'ils veulent que leur enfant réussisse un jour, c’est eux qui doivent faire quelque chose eux-mêmes. Il faut q’on accepte que parfois, c’est comme ça. On travaille dans un milieu très hétérogène, il faut vivre avec. Donc, il n'y a pas grand-chose qu’on puisse y faire. On doit s’adapter, et parfois ça signifie un redoublement. Mais il faut prendre les choses comme elles sont.

Pia Oppel Chaque après-midi, après mon temps passé avec les élèves du quartier de la Gare, j'écoute mes enregistrements de la journée et mes pensées ne cessent de tourner. A l'école, des attentes de toutes sortes s’affrontent, mais on ne peut pas donner satisfaction à tout le monde, voilà mon impression. Les attentes des parents.

Isabelle J'espérais que Estrella arrivait à apprendre bien à l'école et pas tout garder pour faire à la maison.

Pia Oppel Des politiciens.

Xavier Bettel La politique educative a pour mission de permettre à chaque enfant de tirer le meilleur de lui-même.

Pia Oppel Et celles des enseignants.

Martine Gloden Il est très difficile de vraiment voir une évolution positive sans la collaboration des parents.

Pia Oppel La réussite scolaire des enfants au Luxembourg dépend en effet très fortement de la famille dont ils proviennent. Cela est confirmé par la recherche. Mais les chercheurs disent aussi que cela ne doit pas forcément être le cas. Parce que dans beaucoup de pays, l'école s’adapte mieux aux inégalités. Et certains chercheurs sont convaincus que le Luxembourg pourrait faire mieux .

Tun Fischbach Je m’appelle Tun Fischbach. Je suis chercheur en éducation à l'université du Luxembourg.

Pia Oppel Son intérêt pour la psychologie du développement est visible sur les bras de Tun Fischbach. Il s'est fait tatouer les premiers bonshommes que son fils a dessinés, et qui sont devenus de plus en plus détaillés au fil des ans. Il dit que c'est pour toujours se rappeler ce qui compte vraiment: que les enfants puissent s'épanouir. Et c'est pour cette raison qu'il voyage à travers le pays avec une présentation Power Point dans son sac à dos et qu'il explique à tous ceux qui veulent l'entendre ce qui fait échouer les enfants dans le système scolaire luxembourgeois.

Tun Fischbach J'ai une liste de plus de 400 présentations. Mais elle n’est pas exhaustive. Donc, je fais cela relativement souvent, je ne peux plus m’écouter moi-même. Mais j'ai l'impression qu’à partir de ce moment-là, les autres commencent à écouter et à comprendre.

Pia Oppel Quel est le message principal que vous essayez de transmettre ?

Tun Fischbach Que ça ne peut pas continuer comme ça. Nous avons un problème évident dans notre système scolaire et cela dès le tout début. C’est un système sous-performant. Quand je suis à l'étranger et que je change d'une langue à l'autre, tout le monde dit : "Wow, le Luxembourg, quel super système scolaire, le multilinguisme, super". Mais ce que les gens ne voient pas, c'est que près d'un tiers des enfants de chaque cohorte de naissances sont ainsi privés de leur éducation de base. Ce n'est pas parce qu'ils sont, disons, trop stupides. Mais l’enseignement des langues est totalement incompatible avec le "bagage langagier" qu’apportent ces enfants.

Pia Oppel En tant quescientifique, vous pourriez simplement observer la situation de manière distancée. Mais vous ressentez la situation comme une injustice ?

Tun Fischbach Je ne me suis jamais ... Je ne sais pas trop comment vous répondre, comme vous voyez. Je suis simplement convaincu qu'un système scolaire équitable est le fondement d'une société vraiment démocratique. Et je pense qu'actuellement, en effet, la démocratie ne tient plus qu’à un fil dans de nombreux endroits.

Pia Oppel J’accompagne Tun Fischbach à l'école fondamentale de Hollerich. Ici, il s'adresse à un groupe d'enseignants et de représentants des parents.

Tun Fischbach En fait, statistiquement parlant, un enfant qui passe le fondamental avec un redoublement de cycle a moins d'un pour cent de chances d'intégrer un lycée classique. Nous avons un système scolaire où à sept ou huit ans, le sort de la plupart des enfants est déjà joué.

Pia Oppel A la Chambre du Commerce, Tun Fischbach s'adresse aux représentants des entreprises.

Tun Fischbach Le plus grand fléau c'est le statut socio-économique. Donc cela veut dire, si j'ai un élève lusophone qui vient du quartile supérieur, point de vue socio-économique, il a de meilleures probabilités de s'en sortir dans le système scolaire traditionel qu'un élève, un Luxembourgeois de souche qui, lui, vient du quartile inférieur.

Pia Oppel La dernière étape de ma tournée avec Tun Fischbach est un échange avec le syndicat des enseignants SEW.

Joel Damé C'est OK que vous enregistrez.

Tun Fischbach Je n'ai pas de secrets [rires]. Pas de secrets éducatifs.

Tun Fischnach Voilà, je suis très heureux d'avoir été invité. Vraiment, ce ne sont pas des paroles en l’air. Pour le reste, je n'ai pas le monopole de la vérité. Je vous donne mon avis et je vous explique pourquoi c’est ce que je pense.

Pia Oppel La discussion se concentre très rapidement sur les difficultés liées à l'alphabétisation en allemand. Près de la moitié des élèves ont du mal à comprendre ce qu'ils lisent en allemand après la deuxième année d'école fondamentale.

Joëlle Damé Ce que je me demande, c'est si ...

Pia Oppel Voici Joëlle Damé, présidente du syndicat SEW et enseignante dans une école fondamentale de Lamadelaine. Six autres collègues syndicaux sont aussi présents.

Joëlle Damé Tout le monde parle de cette situation linguistique dans les écoles luxembourgeoises. Je me demande si c'est la bonne question. Au lieu de changer la langue d’alphabétisation, ne faudrait-il pas changer la manière d’enseigner ?

Tun Fischbach Absolument.

Joëlle Damé Ça ne sert à rien. Je dis toujours la même chose.

Tun Fischbach Moi aussi. Depuis 15 ans [hilarité generale].

Joëlle Damé Il ne sert à rien de changer la langue si nous ne changeons pas les conditions de départ.

Anne-Marie Eichenseher D’Basis

Joëlle Damé Il faut changer de méthode. Sinon, ça ne sert à rien de changer la langue.

Pia Oppel Le chercheur et les enseignants discutent de la possibilité de commencer à apprendre l'allemand dès la maternelle. Et des avantages d’une alphabétisation en français. La question reste ouverte. Mais tout le monde est d'accord pour dire que quelque chose doit changer. Après plus de deux heures, l’entrevue se termine.

 

Joëlle Damé Villmools Merci.

Tun Fischbach De rien. Je ne sais pas si c'est ce que tu voulais.

Joëlle Damé Oui, non ? Quels sont les retours de ceux qui sont restés ?

Sonia Mousel C'était très intéressant. Mais je ne sais pas ce que nous voulions [rires].

Tun Fischbach Il est clair que nous ne pouvons pas continuer comme nous le faisons maintenant.

Anne-Marie Eichenseher Voilà.

Joëlle Damé Jo.

Sonia Mousel Jo.

Anne-Marie Eichenseher Je pense qu'il y avait beaucoup de parallèles avec ce que les enseignants ressentent au quotidien. Je pense qu'on est du même avis. C'est juste un problème complexe, et on comprend en partie d’où il vient. Mais alors, comment peut-on le résoudre?

Tun Fischbach Je suis convaincu que les enseignants sont un élément clé de la solution. Pas le seul, mais c'est les acteurs principaux à l'école.

Joëlle Damé Sans eux, ça ne marche pas.

Tun Fischbach Non, ça c’est sûr.

Pia Oppel Vous êtes très optimiste [rires].

Tun Fischbach Je ne pense pas. Je ne me suis jamais considéré comme un optimiste.

Pia Oppel Alors, vous êtes quoi ?

Tun Fischbach Pas pessimiste non plus, je dirais réaliste. J’ai l’impression que cette question suscite plus d’intérêt que jamais. Il y a toujours des gens qui ne sont pas d’accord, bien sûr - mais il y a aussi une sorte de consensus que ça ne peut pas continuer ainsi. Sinon, je pense que nous allons retomber dans une sorte de fatalisme, comme c'était déjà le cas à la fin des années 70 et au début des années 80. On savait déjà tout cela, mais on disait : Nous ne pouvons rien faire ... Ou nous ne voulons rien faire. Voilà.

Pia Oppel Ou on dit: nous voulons faire quelque chose, mais on ne fait rien.

Tun Fischbach Oui, c'est l’aveu du bout des lèvres.

Pia Oppel Le temps de l’aveu du bout des lèvres est-il révolu ? On pourrait le penser. Parce qu’il y a en effet un certain nombre de changements. Il y a des écoles internationales publiques au Luxembourg. Et des écoles où des classes sont alphabétisés en français.

Mais cela rend-il vraiment notre système scolaire meilleur et plus juste ? Voilà les questions auxquelles Pierre et moi chercherons des réponses dans les prochains épisodes.

Mais d'abord, il faut revenir un peu en arrière: la référence de Tun Fischbach aux années 70 m'a fait réfléchir. Est-ce qu'il y a 50 ans, c'était aussi évident qu’aujourd’hui que notre système éducatif est injuste et qu'il a besoin d'être réformé ? Et si c'était le cas, qui ou quoi a empêché la situation de changer? Dans l'épisode suivant, Pierre et moi allons fouiller dans les archives. Et nous nous mettons à la recherche de témoins.

Pia Oppel Moien!

Pierre Reyland Moien!

Edith Jacobs Moien. Oh Dir musst entschëllegen, dat sinn Alterserscheinungen.

Edith Jacobs Je ne savais pas comment apprendre autrement l'allemand aux enfants portugais et essayer de les faire comprendre. Il y avait donc une montagne de problèmes.

Karin Elsen Vous voyez, ici, c'était la cour de l'école.

Karin Elsen Et, oui, je pense que cela m'a poussé à penser qu’il faut changer quelque chose, quand on voit que la situation n’est manifestement pas juste, il faut essayer de la changer. Et quand on est jeune, on a encore beaucoup d'élan, on n'a pas encore vécu tellement de déceptions

Pia Oppel Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Recherche et rédaction: Pia Oppel et Pierre Reyland. Soutenu par Tessy Troes, Jean-Claude Franck, Rick Mertens, Chris Zeien, Semir Demic et Marie Trussart. Son et arrangements musicaux: Chris Simon. Coordination par Yves Stephany. Traduction : Philip von Leipzig.

La musique de titre, le Gassenhauer du Orff-Schulwerk, a été enregistrée sous la direction de Laurent Warnier par des élèves du Conservatoire de la Ville de Luxembourg. Merci à Joé Alff, Constantin Barbu Ravoux, Michael Calnan, Felix Dunkel, Laurie Krier, Ina Molakava, Lola Schleicher, Julian Seredynski, Youqian Lulu Pang, Louis Thill et Eloïse Twimumu.

*nom changé par la rédaction