Danièle-Hartert C’est vrai que c'est un peu la haute société, si on peut dire. Parce que c'est vraiment une commune chère.
Marc Schumacher Je ne sais pas s'il y a moins d'étrangers ici. Mais quand il s’agit d’étrangers, ce sont souvent des étrangers diplômés. Et ils sont très souvent en mesure d'aider leurs enfants.
Paula* Je ne sais pas si le système traditionnel convient à ma fille Stéphanie ou non. Je ne pense pas. Mais c’est pourquoi on doit chercher une alternative.
Pia Oppel Les deux enseignants et la mère que vous venez d'entendre habitent tous à Kehlen. Ce n’est pas moi qui les ai interviewés. C'était mon collègue Pierre Reyland, qui travaille avec moi sur ce podcast.
Une fois, Pierre m'a envoyé un message, alors qu'il était assis en classe de maths de cinquième année d’école fondamentale à Kehlen. Il se sentait comme s’il était de retour dans sa propre école fondamentale. Mais le sujet de cet épisode n'est pas la nostalgie. Sauf peut-être un peu, entre les lignes.
Mon nom est Pia Oppel, et ce n'est pas à moi de vous parler de Kehlen. C’est ici que Pierre prend le relais.
Pierre Reyland Cet épisode porte un regard différent sur notre système scolaire. À première vue, il n'y a pas beaucoup de problèmes scolaires à Kehlen. Pour plusieurs raisons.
Néanmoins, des questions à propos des barrières linguistiques dans notre système scolaire sont également soulevées à Kehlen.
Je m’appelle Pierre Reyland. Je suis journaliste pour radio 100,7. Aujourd'hui, c’est moi qui vais vous raconter l'histoire d'un mauvais élève. Il s'agit toujours de notre système scolaire, qui est en mauvaise posture en comparaison avec les équivalents internationaux. Un système scolaire où les enfants échouent plus ou moins souvent, selon l'endroit où ils vivent.
Cette série de podcast en 6 épisodes est parue en 2022 dans sa version luxembourgeoise. Je suis ravi de pouvoir vous la présenter sous cette forme ... même si le français n’est pas ma première langue, comme vous pouvez l’entendre.
Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Épisode 5: Ceinture dorée
Luc Schmitt Nous arrivons maintenant au “Schoulwee”. Nous prenons donc le “Schoulwee” et nous dirigeons vers l’école.
Pierre Reyland D’habitude, Luc Schmitt prend le chemin d’école avec son fils, le matin. Il est en cinquième année d’école fondamentale à Kehlen. Mais aujourd'hui, c’est moi qu’il emmène là-bas, sur le “Schoulwee”, la rue de l’école, dans un quartier résidentiel de Kehlen.
Luc Schmitt On passe par ici tous les matins, sauf quand il pleut des cordes, dans ce cas, on prend la voiture.
Pierre Reyland Luc Schmitt habite juste à côté de l'école. Il est coordinateur du comité des parents de Kehlen.
Pierre Reyland Combien d'enfants vont à l'école à pied à Kehlen?
Luc Schmitt Eh bien, il y en a beaucoup, oui. Mais quand vous arrivez au parking de l'école à huit heures du matin, il y a quand même beaucoup, beaucoup de voitures. Bon, et puis d’habitude il y a aussi quelqu'un de la commune qui veille à ce que personne ne soit écrasé.
Pierre Reyland Mais pour l'instant, tout est calme ici. Nous continuons à suivre le “Schoulwee”. En passant à côté de grandes maisons avec vue sur les prés et les champs.
Pierre Reyland Et dans ce quartier que nous sommes en train de traverser, quelles sont les nationalités qu’on peut y rencontrer?
Luc Schmitt Oui, il y a vraiment de tout, ici. A côté des Luxembourgeois, il y a certainement des Scandinaves, des Anglais, des Américains, des Allemands, des Français, des Portugais, des Italiens ... donc vraiment, vraiment de tout.
Vu que nous sommes dans ce que les Allemands appellent le “Speckgürtel”, la ceinture dorée de la ville de Luxembourg, Kehlen n’est pas non plus bon marché.
Pierre Reyland Chez Luc Schmitt à la maison. Il dirige une entreprise du secteur financier et vit à Kehlen depuis 15 ans. La commune compte aujourd'hui plus de 6.000 habitants. Il y a 40 ans, c'était la moitié. Mais même aujourd'hui, Kehlen a gardé un caractère rural.
Luc Schmitt Est-ce qu’une vie de village existe encore à Kehlen ? Je pense que oui. La vie est agréable à Kehlen. Tout le monde connaît tout le monde. Il y a du commérage, ce qui est normal dans un village à mon avis.
Pierre Reyland Et comment pourrait-on décrire l’école fondamentale ici à quelqu'un qui n'a jamais été à Kehlen ?
Luc Schmitt Comment décrire l'école fondamentale de Kehlen ? Je pense que l'école de Kehlen a une assez bonne réputation. Je dirais que nous avons de bons enseignants ici. Cette école est vraiment super. On devrait aussi demander aux enfants. Mais c’est ce que vous faites. A mon avis, les enfants, en général, aiment aller à l'école ici.
Pierre Reyland Et, ils se débrouillent assez bien à l'école à Kehlen. Bien au-delà de la moitié des élèves sont orientés vers le lycée classique. C'est beaucoup plus que la moyenne nationale d'environ 40%. Kehlen n'est pas un cas isolé. Dans le dernier rapport sur l'éducation de l'Université du Luxembourg, il y a une carte du pays où l'on voit que toutes les communes chères autour de la ville envoient beaucoup plus d'enfants au lycée classique que dans les autres comm unes du pays.
Et généralement, les enfants qui sont envoyés à l'école classique sont ceux qui obtiennent les meilleurs résultats à l'école fondamentale. L'orientation après l'école fondamentale reflète donc ce que les chercheurs en éducation constatent généralement au sujet du système scolaire luxembourgeois: plus les parents gagnent, mieux les enfants réussissent à l'école - quelle que soit la langue qu'ils parlent à la maison.
Amélie Hallo Monsieur, ça va ?
Pierre Reyland À Kehlen aussi, l'école commence pour la plupart des enfants au précoce.
Danièle Hartert Une étoile um Himmel. Wat ass dat op Lëtzebuergesch? Ee Stär. Ee Stär.
Marie* Ee Stär.
Danièle Hartert Ee Stär op Lëtzebuergesch.
Je sais qu'il n'y a plus tellement d'enfants luxembourgeois ici depuis des années.
Pierre Reyland Danièle Hartert travaille au précoce à Kehlen depuis 21 ans.
Danièle Hartert Il y a encore beaucoup d'enfants qui ont la nationalité luxembourgeoise, ou qui sont nés ici, mais qui ne parlent pas le luxembourgeois à la maison. Il y a aussi de très nombreuses familles où l'on parle deux, voire trois langues.
Marie Doheem ech schwätze Franséisch.
Pierre Reyland An hei?
Marie Lëtzebuergesch.
Laura* Uia, Uia, Uia.
Pierre Reyland Wat ass dat fir eng Sprooch? Uia, Uia, Uia ?
Laura Näischt.
Danièle Hartert Donc, au début dans cette classe, il y avait trois ou quatre enfants q ui parlaient correctement le luxembourgeois. Il y en avait aussi quelques-uns qui avaient eu un peu de contact avec la langue. Mais plus de la moitié d'entre eux ne parlaient pas du tout luxembourgeois.
Pierre Reyland À la fin de l'année scolaire, ça va beaucoup mieux.
Amélie Je vais à la plage et à la piscine, et je vais nager, à la plage et à la piscine.
Pierre Reyland Danièle Hartert a elle-même grandi à Kehlen. Son choix de carrière était déjà fixé très tôt.
Danièle Hartert Je suis une fille de Kehlen. Je suis allée à la “Spillschoul” à Kehlen. Depuis la “Spillschoul”, j'ai toujours dit que je serai une “Joffer Danièle”. Parce que j'avais une “Joffer Danièle” à la “Spillschoul”. Et ça m’a toujours fascinée. Et d’après ce qu’on m’a dit, j'ai toujours aidé mon enseignante. Et à partir de là, j'ai toujours dit que j'allais devenir “Joffer” à la “Spillschoul”. Et donc, dès le début, je suis allée travailler au précoce. Je suis ici depuis que le précoce a été créé dans la commune de Kehlen.
Pierre Reyland Depuis ces années, Danièle Hartert a également vécu un changement socio-économique.
Danièle Hartert Ces dernières années, ça a explosé. Bon, c’est vrai que c’est le cas partout, mais ici, on se rapproche des prix de Strassen, de Mamer, ou de la Ville.
Pierre Reyland Est-ce que ça se remarque chez les parents, respectivement chez leurs enfants qui viennent ici ?
Danièle Hartert Je ne sais pas si je peux dire ainsi, mais je me rends compte que ces dernières années, il y a vraiment des parents, oui, qui ont des voitures très chères. Et pour les vacances, ils partent au Club Med, où leurs enfants sont aussi pris en charge pendant les vacances. C’est vrai que c'est un peu la haute société, si on peut dire.
Pierre Reyland L'école de Kehlen a une bonne réputation. Et cela joue un rôle dans le choix de venir vivre ici, estime Danièle Hartert.
Danièle Hartert On m’a dit à la commune que beaucoup de gens appellent pour se renseigner sur l'école, sur la maison relais, avant de déménager. Oui, s’ils veulent vivre dans la commune de Kehlen, ils sont quasiment forcés de travailler à plein temps, parce que c'est une commune très chère. Mais c'est aussi pour cela que l'école y est adaptée. Il y a beaucoup d’options. Il y a une très bonne école de musique, beaucoup d'infrastructures sportives, le football offre beaucoup de possibilités. C'est pourquoi beaucoup de gens aiment venir vivre ici.
Pierre Reyland Mais il y aussi d’autres raisons, pas seulement financières, pour lesquelles les gens font recours à la prise en charge extrascolaire.
Danièle Hartert Oui, il arrive aussi de temps en temps que les enfants soient à la maison relais parce que les parents veulent jouer au golf, ou vont faire de l’équitation. Ça arrive régulièrement qu’on apprenne qu'ils déposent leurs enfants ici pour aller faire leur sport pendant ce temps.
Danièle Hartert a Kanner [sangen] A ganz lues, soen ech dir, Mamma ech si frou mat dir.
Marc Schumacher Wir sind im Deutschen. Und: Eins, zwei, drei!
Kanner [am Chouer] Die Erde, der Laden, die Mandarine.
Pierre Reyland Voici Marc Schumacher. Cela fait 23 ans qu’il enseigne à Kehlen. Et il s’occupe presque toujours de la première ou deuxième année d’école primaire.
Marc Schumacher J'aime beaucoup cet âge du C2. Ici, la première année d'école primaire est très éducative. Beaucoup d'éducation. Mais les enfants te rendent beaucoup. Dès qu’ils s’amusent, ils viennent t'embrasser, ils te prennent dans leurs bras. Ils disent des choses comme: " C'était génial, on recommencera demain ?” Tu reçois un retour extraordinaire chaque jour. Autrement, je ne ferais pas ce métier.
Haben Frösche kein Zähne?
Kanner [am Chouer] Nein.
Marc Schumacher Wirklich nicht?
Kanner [am Chouer] Nein!
Pierre Reyland À Kehlen, les enfants n'ont pas beaucoup de problèmes avec l'allemand. Même si seulement la moitié parlent le luxembourgeois comme première langue à la maison.
Marc Schumacher Parce qu'ils étaient aussi ici au précoce, ils étaient ici à la “Spillschoul”. Bien sûr, cela aide énormément. Et ils parlent tous luxembourgeois.
Pierre Reyland Parmi les 16 enfants de la classe de Marc Schumacher, il n'y en a qu'une seule qui ne parle pas luxembourgeois, il s’agit d’Assaitou. Elle est arrivée récemment à Kehlen de Guinée.
Marc Schumacher Mais elle apprend le luxembourgeois maintenant. Et elle se débrouille déjà bien. Et au moins, elle parle un peu de français. Cela signifie que malgré tout je suis capable de parler couramment avec n'importe quel enfant de la classe.
Marc Schumacher Klatsch lénks, Klatsch riets, Klatsch allen zwou.
Marc Schumacher et ses élèves Ein Land, am Strand, am Meer, oho.
Pierre Reyland En allemand, Marc Schumacher travaille beaucoup avec la musique et le rythme.
Marc Schumacher On fait de la musique tous les jours en classe. On apprend une nouvelle chanson ou un nouveau poème chaque semaine. Et on s'y entraîne toute la semaine, tous les jours. Ils doivent apprendre cela par coeur, le rythme, battre la mesure, le tout accompagné d’une danse. Et ainsi, ils apprennent la construction de la phrase. Les articles aussi. Ça arrive de manière tout à fait naturelle. Sans avoir à expliquer la grammaire.
Pierre Reyland Mais certains enfants ont encore des difficultés. Parce que le pont entre le luxembourgeois et l'allemand ne fonctionne pas bien pour tout le monde.
Marc Schumacher Oui, c'est très clair dans le cas des articles. Pour les francophones, c'est plus difficile.
Pierre Reyland Mais Marc Schumacher ne pense pas qu'il faut changer quelque chose de fondamental à Kehlen et introduire une alphabétisation en français en plus de l'allemand.
Marc Schumacher Je ne pense pas. On a pas vraiment besoin de ça. Peut-être plus dans d'autres endroits du pays, mais chez nous, à Kehlen, je ne vois pas la nécessité d'alphabétiser en français. L'allemand fonctionne déjà très bien.
Pierre Reyland À Kehlen, tout peut donc rester comme avant. Mais ce n'est pas forcément nécessaire, estime Marc Schumacher. Parce qu'il pense aussi qu'il y a un problème avec les barrières linguistiques dans notre système scolaire.
Pierre Reyland Moien
[chien qui aboie]
Pierre Reyland Marc Schumacher habite également à proximité de l'école. Sa femme est professeur d'anglais. Ils ont quatre enfants et un chien.
[chien qui aboie]
Marc Schumacher Nee. Zola! Zola!!
Quand tout est passé au français en 4ème, ça a tout de suite cessé de fonctionner dans les matières secondaires. Mais pas parce qu'il n'aime pas ou ne comprend pas les matières secondaires, mais parce que tout est en français. Parce qu'il déteste cette langue. Et parce qu'il ne veut pas apprendre dans cette langue.
Pierre Reyland Marc Schumacher ne parle pas d’un des ses élèves. Mais de son propre fils. Au lycée, en 4ème, il a failli échouer à cause du français.
Marc Schumacher Et quand il a changé d’école et est allé au “Kolléisch”, en section IB, la filière anglaise de l'école, tout était en anglais. Et hop ! Tout d'un coup, ça allait. Pourtant, la matière n'est pas forcément différente. Mais c'est une autre langue!
Pierre Reyland Cela l'a aidé à réussir au lycée. Aujourd'hui, le fils de Marc Schumacher va à l'université en Angleterre.
Marc Schumacher J'étais vraiment très heureux que cette solution existe.
Pierre Reyland Marc Schumacher est convaincu que l'expérience de son fils n'est pas un cas isolé.
Marc Schumacher Et c'est pour ça que les Luxembourgeois sont aussi concernés. Nous pensons beaucoup aux étrangers, mais pas aux Luxembourgeois. Les Luxembourgeois devraient aussi avoir la possibilité de continuer en allemand. Du moins, ça serait très important pour moi.
Pierre Reyland Marc Schumacher voit donc un problème plus général au niveau des langues dans le système scolaire luxembourgeois. Les uns se cassent la figure à l'école fondamentale à cause de l'allemand, les autres au lycée à cause du français.
Cela soulève la question de savoir si, au Luxembourg, il est judicieux de devoir franchir quatre barrières linguistiques avant de pouvoir prouver qu'on est bon en maths ou en histoire.
C'est pourquoi Marc Schumacher pense qu'il devrait aussi y avoir une alternative à l'école fondamentale. Justement parce qu’il sait ce que signifie échouer à cause d’une langue, il a une vision pragmatique de la question. Egalement dans le cas de l'école fondamentale à Kehlen.
Marc Schumacher Si le besoin se fait sentir chez nous, il y aura certainement une classe comme celle-là. Pour que des élèves puissent faire l'alphabétisation en français. Mais en tout cas, on est tous d'accord pour le moment qu’on a pas besoin d'une telle classe maintenant. Mais cela dépend toujours de la demande. Si la demande augmente un jour, une telle classe verra peut-être le jour à Kehlen.
Pierre Reyland Mais vous en discutez parfois ?
Marc Schumacher Bien sûr, oui. On en a parlé lors de notre réunion de concertation. On n’a pas discuté si une telle classe devait être introduite ici. Mais on en a parlé de manière générale. Pour l’instant il n'y a aucun enseignant parmi nous qui voudrait changer de système et passer tout d'un coup au français. Enfin, pas que je sache.
Pierre Reyland Marc Schumacher lui-même ne veut pas changer de de système. Il préférerait confier l'alphabétisation en français à des collègues plus jeunes.
Marc Schumacher Par contre, je l'ai appris comme ça moi-même parce que j'ai fait mon diplôme à Virton. Je sais comment alphabétiser en français. Mais je suis tellement habitué au système allemand. Je ne pense pas que je changerais maintenant.
Pierre Reyland D’ailleurs, Marc Schumacher n'a pas non plus fait sa “première” au Luxembourg. Car lui aussi, comme son fils au lycée, a eu du mal à se débrouiller en français. L'ironie de l'histoire est qu'il a quand même passé sa première. À Metz, en France.
Selon Marc Schumacher, la raison pour laquelle il s’est mieux débrouillé en français en France, c’est parce que la langue française est enseignée différemment en France que dans le système scolaire luxembourgeois.
Marc Schumacher En France, mon français était définitivement assez bon. Je veux dire que mon niveau à l’oral était assez bon. Parce que les Français ne sont pas vraiment très forts en orthographe. Dans leur propre langue. Ils n'y attachent pas tellement d'importance. Et l'écrit, on s’y entraîne très bien ici au Luxembourg. Du moins, on s’y entraînait très bien à l'époque. On attache beaucoup d'importance à l'écrit. Et on place la barre très haut pour les langues.
Pierre Reyland Marc Schumacher est convaincu qu'il n'aurait pas passé cette barre au Luxembourg.
Marc Schumacher Si je n'avais pas choisi la voie de l'étranger, je ne serais certainement pas devenu enseignant aujourd'hui.
Pierre Reyland Ce n'est pas un cas isolé ?
Marc Schumacher Non, pas du tout. J'ai beaucoup d’amis qui étaient avec moi à l'étranger à l'époque. Et beaucoup d'entre eux sont en effet dans l’enseignement aujourd'hui.
Pierre Reyland Ils avaient aussi des difficultés en français à l'époque ?
Marc Schumacher Oui, aussi avec des problèmes en français à l'époque. Ils sont allés en France et ils y ont réussi. D’autres sont allés en Belgique, et ont réussi en français, mais pas ici au Luxembourg. Et ça, c'e st vraiment triste.
Pierre Reyland Aujourd'hui, il aime le français et écrit même des chansons dans cette langue pour ses élèves.
Marc Schumacher [chante] J'ai deux oreilles, un nez et un menton. Dis-moi ton nom, pour continuer la chanson.
Pierre Reyland Marc Schumacher a sorti sa guitare. Les enfants sont agités et prêts à aller en pause. Mais d’abord, il faut chanter.
Marc Schumacher [chante] Et je commence, je commence à danser!
Pierre Reyland Wat schwätzt du doheem?
Stéphanie Ech schwätzen Englesch. Meng Mamma ass vum Portugal. A meng Pappa ass vun England.
Pierre Reyland A Lëtzebuergesch an Däitsch geet awer?
Stéphanie Mhm, e bëssi.
Pierre Reyland Wat ass da méi schwéier? Lëtzebuergesch oder Däitsch?
Stéphanie Déi zwee.
Pierre Reyland Je vous présente Stéphanie. Une élève de première année d’école primaire dans la classe de Marc Schumacher. Elle a beaucoup de difficultés à l'école. Ce n'est que plus tard que sa mère a découvert que cela avait peut-être à voir avec les langues. Mais nous en reparlerons dans un instant.
Tout le monde était parti du principe que les langues n'étaient pas le problème. L’enseignant de Stéphanie aussi.
Marc Schumacher Ce n’est pas à cause de l’allemand. C'est plutôt la concentration. C'est plutôt parce qu’elle a souvent la tête dans les nuages. C'est un autre problème.
Paula* Well ech do nach ganz jonk war.
Pierre Reyland A la maison de Stéphanie.
Paula Ganz komplizéiert, well de sechste Schouljoer ...
Pierre Reyland Je parle de l'école avec sa mère. Elle a elle-même eu un parcours scolaire difficile au Luxembourg. Elle est arrivée du Portugal en 1979. En sixième année d’école primaire, on lui a dit qu'elle ne réussirait pas les examens pour entrer au lycée ...
Paula ... hat den Här Lehrer schonn zu mir gesot, ech bräicht den Examen net ze maachen, ech géif dat net packen.
Pierre Reyland Elle a pourtant essayé l'examen d'admission et elle a réussi.
Paula Et ensuite, je suis allée au lycée technique (général).
Pierre Reyland Cela a marché pendant un an.
Paula Là on avait la possibilité d'avoir les cours en français pendant un an. Les matières secondaires, c'était tout en français ...
Pierre Reyland Mais ensuite, ça n’a plus marché, à cause de l'allemand.
Paula Non. J'ai dû changer de lycée et faire mon bac en Belgique.
Pierre Reyland Dix ans plus tard, elle est retournée en Belgique pour faire ses études.
Paula J'ai recommencé à étudier pour devenir éducatrice diplômée. Puis, j'ai fait deux années de psychologie à l'université. Ensuite, je suis tombée enceinte et j'ai arrêté.
Pierre Reyland La mère de Stéphanie se pose beaucoup de questions pour savoir pourquoi sa fille a tant de difficultés à l'école fondamentale de Kehlen.
Paula Je ne sais toujours pas si le système traditionnel convient à ma fille Stéphanie ou non. Je ne pense pas. Mais c’est pour ça qu’on doitchercher une alternative.
Pierre Reyland Elle était cependant d'accord avec l'avis de l’enseignant Marc Schumacher, selon lequel les langues ne sont pas nécessairement le problème de Stéphanie.
Paula Non, il a en effet été dit que Stéphanie rêvasse trop. Mais j'en ai aussi parlé avec Stéphanie pour savoir ce que cela pourrait être. Et elle me dit souvent: "Oui, ils disent que je suis stupide”. Alors j'ai répondu: "Non, tu n'es pas stupide.
Et je ne sais pas quoi faire pour qu'elle puisse avancer.
[sonnerie du téléphone]
Paula Jo, hallo!
Pierre Reyland Bonjour, c’est Pierre de radio 100,7. On peut parler maintenant
Paula Jo, ganz gutt.
Pierre Reyland Donc, si j’ai bien compris, Stéphanie n’est plus à l’école fondamentale de Kehlen. Alors, où est-elle maintenant ?
Paula Elle est maintenant à l'International School of Luxembourg.
Pierre Reyland Il s'agit de l'ISL, une école internationale privée à Hollerich. D'ailleurs, le frère de Stéphanie y est déjà. Les parents ne voulaient pas forcément choisir une école privée pour leur fille. Ils ont aussi essayé les écoles publiques internationales gratuites.
Paula Mais il n'y avait plus de place là-bas. Et comme elle avait beaucoup de difficultés, on a pensé pendant les vacances qu’on pourrait essayer l'ISL. Et là ils ont répondu: "Aucun problème.”
Pierre Reyland Depuis cette rentrée, Stéphanie est donc à l’International School privée de Hollerich. Les matières principales y sont toutes dans la langue qu’elle parle à la maison, l'anglais.
Paula On remarque déjà très bien qu'elle est beaucoup plus ouverte. Et qu’elle y apprend beaucoup de choses. En mathématiques, par exemple, où elle a eu énormément de difficultés à faire les calculs. Ils enseignent les maths différemment. Elle aime beaucoup les maths maintenant. Et il y a des cours d’appui pour elle à l’école.
Pierre Reyland L'école internationale privée est cependant connue pour être relativement chère. Avez-vous dû réfléchir à cela ? Est-ce que ce n’est pas un problème financier pour vous maintenant ?
Paula C’est cher. C'est vrai. Et il y a beaucoup de familles qui ne peuvent pas se le permettre. C'est vrai aussi. Mais notre point de vue est qu’on demande aussi parfois un prêt pour acheter une voiture, ou pour un deuxième appartement. Dans ce cas, on a décidé de donner une bonne éducation à nos enfants.
Pierre Reyland Stéphanie n’est pas une exception à Kehlen. L'année dernière, un enfant sur cinq à l’âge du fondamental de la commune de Kehlen était scolarisé dans une école privée, une Ecole Européenne ou internationale.
"Il y a beaucoup de familles qui ne peuvent pas se le permettre". Cette réflexion de la mère de Stéphanie m'a rappelé quelque chose que Marc Schumacher m'avait dit, l'ancien enseignant de Stéphanie à Kehlen.
Marc Schumacher Je ne sais pas s'il y a moins d'étrangers ici que dans d'autres endroits. Mais quand il s’agit d’étrangers, ce sont souvent des étrangers diplômés. Et ils sont souvent en mesure d'aider leurs enfants. Ou peut-être qu’ils ont de l'argent et peuvent payer des cours de rattrapage. Ou ils trouvent des solutions.
Pierre Reyland Ces parents trouvent des solutions. Et ils savent comment naviguer le système scolaire. Le pouvoir des parents est le sujet du prochain épisode ... qui sera d’ailleurs le dernier de cette série.
Ma collègue Pia Oppel vous emmènera alors encore une fois dans le quartier de la Gare en Ville. Ici, les parents sont directement intervenus dans l’organisation scolaire. Ce qui a fait grand bruit. Il y va aussi de notre façon de gérer les inégalités du système scolaire.
Lynn Thommes Il y a eu beaucoup d’inquiétudes dans le quartier. Et certains parents étaient vraiment fâchés. Ils disaient que ce n’était pas possible.
Jean-Marc Cloos Pour nos enfants nous avons fait en sorte que la fusion des écoles ne se produise pas, comme le souhaitait le président de l’école à l'époque. L’autre école a une réputation selon laquelle on ne peut pas entrer au lycée ensuite.
Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Recherche et rédaction: Pia Oppel et Pierre Reyland. Avec la participation de Tessy Troes, Jean-Claude Franck, Rick Mertens, Chris Zeien, Semir Demic et Marie Trussart. Son et arrangements musicaux: Chris Simon. Coordination: Yves Stephany. Traduction: Philip von Leipzig.
Notre musique de titre, le "Gassenhauer" du Orff-Schulwerk, a été enregistrée sous la direction de Laurent Warnier par des élèves du Conservatoire de la Ville de Luxembourg. Merci à Joé Alff, Constantin Barbu Ravoux, Michael Calnan, Felix Dunkel, Laurie Krier, Ina Molakava, Lola Schleicher, Julian Seredynski, Youqian Lulu Pang, Louis Thill et Eloïse Twimumu.
*nom changé par la rédaction