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/ "Wie bleift bewonneren ech méi wéi deen, deen auswandert"

Literatur

"Wie bleift bewonneren ech méi wéi deen, deen auswandert"

"Je suis seul" (Editions Elyzad) ass dem Mauretanier Mbarek Beyrouk säi véierte Roman. Et ass de Monolog vun engem Mann, dee sech virun Djihadiste verstoppt - den Ulass, fir op säi Liewen zeréckzeblécken. De Michel Delage huet sech zu Saint-Malo um Festival Étonnants voyageurs mam Beyrouk ënnerhalen.

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5 min

Michel Delage: Pourriez-vous nous présenter la scène littéraire en Mauritanie?

Mbarek Beyrouk: Nous sommes un pays essentiellement nomade. Et hassanophone, ça veut dire, quelque part, arabophone. Dans toute notre histoire, "littérature" pour nous veut dire "poésie". Certains chroniqueurs nous ont appelé "le pays d'un million de poètes", parce que tout le monde veut être poète. Et de la poésie populaire, de la poésie classique en arabe. Nous avons beaucoup d'auteurs arabes - les écrivains francophones se comptent sur les doigts d'une main. Mais je crois qu'ils ont une certaine valeur.

Vous-même, vous écrivez en français.

Oui, j'écris uniquement en français. Je suis un cas un peu particulier en Mauritanie, parce que mon père était instituteur francophone. Il n'y en avait pas beaucoup à l'époque. C'était quelqu'un qui aimait beaucoup la langue française et il m'a très tôt appris à aimer cette langue. A 13 ans j'avais "Les Misérables", que je devais forcément lire. Et depuis, j'ai une passion pour Victor Hugo et la langue française.

Là, vous venez de publier un roman, "Je suis seul" (Editions Elyzad). Le narrateur est le personnage central. Il se cloître chez lui dans une situation politique très instable, très dangereuse.

Oui, c'est un homme qui se cloître parce qu'il a peur, parce qu'il s'est retrouvé dans une ville envahie par les djihadistes. Et parce qu'il ne voit plus rien. Il ne voit la ville qu'à travers les interstices d'une fenêtre. Mais en même temps il se juge, il juge les autres, et il se raconte aussi. Il parle de son passé, de sa culture, de ce qui lui a manqué, des compromissions où il s'était engagé. Et il se pose des questions sur son avenir. Il a peur mais en même temps il se donne du courage pour affronter l'hydre islamiste.

"Je suis seul, ils sont tous partis, les gens et les mots, les jeunes idées et les vieilles ambitions, et même l'amour, il est parti lui aussi, ils ont fui, ils sont allés chercher des rivages étoilés, loin du nouveau ciel qui ne souffre pas de lumière et qui ne tolère que les fureurs de la nuit."


Vous avez dit que ceux qui avaient du courage n'étaient pas forcément ceux qui quittaient le pays, qui fuyaient la situation politique, mais ceux qui restaient ...

Oui ... Je ne jette pas l'anathème sur ceux qui s'en vont, ceux qui voyagent, ceux qui prennent la mer. Mais j'ai dit que j'admirais beaucoup plus ceux qui restent, ceux qui combattent, ceux qui refusent le fait établi, ceux qui veulent changer les choses, ceux qui souffrent en silence - en silence ou pas en silence - et qui veulent avancer, qui veulent aller plus loin, qui veulent voir les choses changer. J'ai plus d'admiration pour eux et j'ai plus de compassion pour ce peuple qui souffre et qui rêve d'une vie meilleure. Et qui reste dans son milieux, dans sa culture - dans sa poésie, j'allais dire ... -, mais aussi dans ses douleurs.

Vous-même êtes parti en France mais vous êtes revenu en Mauritanie ...

J'ai quitté mon pays à une certaine période, en 1995. Avant j'avais édité un journal, un journal d'opposition - c'était la grande époque des revendications pour la liberté de la presse, pour la liberté d'opinion. Je suis venu en France, j'y ai passé quelques mois, j'étais collaborateur externe de journaux dont "Jeune Afrique". Et puis je suis revenu ...

"Je suis devenu un homme assagi"

J'ai choisi de revenir parce que j'ai compris que je ne pouvais pas vivre ailleurs que chez moi et qu'en fait, je ne pouvais pas m'épanouir en dehors de chez moi. Même aujourd'hui quand je suis en France ou ailleurs, je n'écris pas. Je n'écris que quand je suis dans un milieu où je me sens parfaitement inspiré.

Les raisons qui vous avaient poussées à revenir, c'était le mal du pays? Vous ne vous sentiez pas à votre place en France?

Oui, les deux à la fois. Je disais qu'en travaillant ici en France je manquais de liberté, je manquais d'espace, je manquais d'être moi-même. Je n'étais pas seul ... Chez moi, j'ai plus la possibilité d'entrer en moi-même. Je suis entouré d'un environnement que je connais bien et que je maîtrise plus ou moins. Ce n'est pas la même chose. Je me sens plus heureux. Être plus heureux, ce n'est pas avoir plus de moyens. Être heureux, c'est se sentir dans sa plénitude. Je connais beaucoup de nomades errant dans le Sahara et qui n'ont rien, et qui sont beaucoup plus heureux que des hommes de pouvoir ou des hommes d'argent, en France ou ailleurs ...

Partir, ne pas partir ... Les gens en Mauritanie se posent-ils la question?

Non, dans mon pays nous ne sommes pas beaucoup d'émigrants. Nous émigrons très peu, sinon dans les pays voisins pour faire du commerce et revenir. Nous sommes des vieux éléphants: même si on part, on revient toujours mourir dans notre désert ... Ce n'est pas un problème qui se pose avec acuité. Il y a beaucoup d'autres problèmes qui se posent chez nous.

Un des principaux problèmes est-il le djihadisme?

Je dirais que non. Même si on le sent à côté, au Mali, ça n'est plus le problème principal chez nous depuis dix ans. C'est le développement, c'est la culture, c'est la démocratie ... Le djihadisme nous environne, c'est une préoccupation de tous les instants, mais cela fait dix ans que nous n'avons pas eu d'attentat terroriste.

Ecrivez-vous toujours pour des journaux?

Ah non, je n'écris plus directement pour des journaux. Je suis devenu un homme assagi ... Je suis administrateur et conseiller à la présidence de la République de Mauritanie. Je travaille surtout à l'organisation de festivals, à l'intérieur du pays, pour valoriser la culture traditionnelle, les chants traditionnels, ce que nous avons - je pense - de plus profond.